Alcool et dépression clinique
Concomitance des problèmes de boisson et de la dépression clinique - Difficultés de diagnostic
La concomitance des problèmes de boisson et de dépression clinique crée diverses difficultés de diagnostic :
- détection des troubles de l'usage de l'alcool chez les patients présentant des symptômes de dépression clinique ;
- détermination de l'origine des symptômes de dépression clinique (ont-ils été induits par l'alcool, et si c'est le cas dans quelle mesure ?) ;
- prise en charge concomitante des troubles de boisson et de la dépression clinique afin d'obtenir une rémission des deux troubles ;
- prise en charge des rechutes des deux troubles durant toute la vie du patient.
La dépression clinique induite par l'alcool
Il est important de déterminer si la dépression a été induite par l'alcool, car le pronostic n'est pas le même que celui des épisodes dépressifs majeurs non liés à l'alcool, qui se traitent de façon très différente.
La dépression clinique est indiquée par une constellation de symptômes mise au jour à partir de la description du patient. Ces symptômes peuvent se produire dans des états :
- non pathologiques (p. ex., deuil) ou pathologiques (p. ex., trouble dépressif majeur) ;
- sans aucun rapport avec un trouble thymique (p. ex., hypothyroïdie).
C'est pourquoi un diagnostic de trouble dépressif majeur ne peut pas être confirmé tant qu'on n'a pas écarté les troubles qui lui ressemblent – l'un d'entre eux étant l'épisode dépressif majeur induit par l'alcool (Schuckit et coll., 2013).
Mis à part les nombreux effets psychoactifs aigus de l'alcool, les troubles mentaux le plus souvent rencontrés dans le contexte des soins primaires sont liés aux effets de la dépression et de l'anxiété induits par l'alcool.
Un trouble de l'usage de l'alcool peut provoquer, au niveau de l'humeur, de la cognition et du comportement, des changements impossibles à distinguer de ceux de la dépression clinique idiopathique (ou épisode dépressif majeur autonome).
Chez les patients présentant des troubles de l'usage de l'alcool et des symptômes comorbides de dépression clinique, il est probable que les épisodes dépressifs majeurs sont induits par l'alcool et que l'abstinence les fera complètement disparaître. Plus de 80 % des cas répondant aux critères d'épisode dépressif majeur comportent un épisode induit par l'alcool qui disparaît avec l'abstinence (Brown et coll., 1995 ; Davidson, 1995).
Il faut compter jusqu'à quatre semaines d'abstinence pour que les changements liés à l'alcool disparaissent et pour déterminer si l'épisode dépressif majeur a été induit par l'alcool.
Chez nombre de gens qui connaissent des épisodes dépressifs majeurs induits par l'alcool, les symptômes commencent à se dissiper au bout d'une semaine d'abstinence seulement. Ce n'est que dans 15 à 20 % des cas que des symptômes significatifs sur le plan clinique persistent après quatre semaines de sevrage (Brown et coll., 1995).
Effets de l'alcool sur la dépression clinique
La consommation de quantités d'alcool associées à un trouble de l'usage de l'alcool – et même, pour certains, une consommation d'alcool se situant dans la fourchette des Directives de consommation d'alcool à faible risque – a de nombreux effets néfastes sur la dépression clinique (Castaneda et coll., 1996 ; Centers for Disease Control and Prevention, 2009 ; Davis, 2008 ; Hashimoto, 2015 ; Hasin et coll., 1996 ; Ishikawa, 2015) :
- risque accru de suicide ;
- exacerbation de l'irritabilité et de l'agressivité ;
- exacerbation du sentiment de désespoir ;
- exacerbation progressive des symptômes au cours du temps ;
- intensification aiguë d'un sous-ensemble de symptômes ;
- mauvaise observance du traitement ;
- réduction ou suppression de l'efficacité du traitement ;
- risque accru de rechute ou de récurrence ;
- risque accru de dépression clinique chronique réfractaire au traitement ;
- limitation des options de traitement (p. ex., contre-indication relative des sédatifs hypnotiques et du bupropion).
Effets de la dépression clinique sur l'usage problématique de l'alcool
Les patients aux prises avec un trouble dépressif majeur ou un trouble bipolaire ont les taux de trouble de l'usage de l'alcool les plus élevés au cours de la vie.
La dépression clinique peut accroître le risque de rechute chez les personnes aux prises avec un trouble de l'usage de l'alcool.
- Une étude réalisée en Suisse (Suter et coll., 2011), qui a suivi des patients durant un an à la suite d'un traitement de l'alcoolisme en établissement, a montré que les patients présentant des symptômes dépressifs cliniquement significatifs rechutaient plus rapidement et qu'ils étaient moins nombreux à rester sobres que les patients ne souffrant pas de dépression. Ils avaient également des indices élevés de trouble de l'usage de l'alcool et ils avaient plus souvent recours à des services de traitement psychiatrique.
- Fait intéressant à signaler : plusieurs études ont abouti à des résultats contradictoires, ce qui semblerait indiquer qu'un épisode dépressif, traité ou non, n'a pas d'influence sur l'apparition d'un trouble de l'usage de l'alcool (Curry et coll., 2012 ; Schuckit et coll., 2013).
Chez les personnes traitées pour un trouble de l'usage de l'alcool, le pronostic des symptômes dépressifs est plus mauvais, ainsi que celui d'autres troubles de santé et de fonctionnement, et ce, même si l'abus d'alcool n'est pas la cause de ces problèmes (Samet et coll., 2013 ; Sanchez et coll., 2014).
Outils de dépistage pour le trouble de l'usage de l'alcool concomitant à une dépression clinique
Il faut effectuer des tests de dépistage séparés pour le trouble de l'usage de l'alcool [link to « Dépistage des problèmes de boisson »] et la dépression clinique. Il n'existe pas de test de dépistage unique pour la concomitance de trouble de l'usage de l'alcool et de dépression clinique.
Aucun test de dépistage ne permet de distinguer entre les symptômes dépressifs induits par l'alcool et la dépression clinique idiopathique.
Outils pour le dépistage de la dépression clinique
Parmi les outils efficaces d'autodépistage de la dépression clinique, citons deux questionnaires gratuits : le Questionnaire sur la santé du patient-9 (PHQ-9) et l'Échelle de mesure de la gravité de la dépression en 7 points de Hamilton (HAMD-7), ainsi que l'Inventaire de dépression de Beck.
De nombreuses études reproduites ont montré que dans les établissements de soins primaires, des instruments structurés permettaient de détecter la dépression clinique et de faire un suivi de la réponse au traitement (Trivedi, 2009).
Mise en évidence de troubles concomitants non apparents
La probabilité de manquer un trouble quelconque au dépistage est variable :
- dépression clinique non apparente dans le cas d'un trouble de l'usage de l'alcool détecté (cas le plus difficile à manquer) ;
- trouble de l'usage de l'alcool non apparent dans le cas de symptômes de dépression clinique détectés (cas le plus facile à manquer) ;
- trouble de l'usage de l'alcool et symptômes de dépression clinique non apparents lorsqu'ils sont concomitants, c'est-à-dire que la concomitance de ces troubles empêche de les détecter l'un et l'autre (ceci ne se produit jamais).
Si vous soupçonnez l'existence d'une dépression clinique, effectuez des dépistages de l'usage d'alcool tout au long du traitement. Ceci est tout particulièrement important dans les cas d'échec de traitement, de détériorations fréquentes ou de contrôle insuffisant des symptômes de dépression.
Si vous décelez un trouble de l'usage de l'alcool, effectuez un dépistage de la dépression clinique, en particulier chez les patients suivants :
- femmes ;
- personnes s'adonnant à des beuveries ;
- personnes présentant un trouble de l'usage de l'alcool qui a débuté après l'âge de 30 ans.
Les modules de la trousse à outils sur la toxicomanie en milieu de soins primaires sont :