Évaluer le risque de suicide
Différencier évaluation du risque et prédiction d'un suicide
Du fait de la rareté du suicide, il n'est pas possible de prédire qui va faire une simple tentative de suicide et qui va se suicider réellement à un moment donné. Le travail du médecin est d'identifier les patients à risque élevé de suicide et de prendre des mesures pour réduire ce risque.
Les questionnaires de dépistage sont-ils utiles ?
Ce qui importe avant tout est l'évaluation clinique. Les instruments et échelles de suicidalité ne sont pas fiables, et ce pour plusieurs raisons :
- Les taux de faux positifs et faux négatifs sont inacceptables.
- Il n'est quasiment pas possible de généraliser leurs résultats.
- Leur utilité est limitée pour le médecin, leur fonction essentielle étant simplement celle d'un aide-mémoire.
Votre patient a-t-il des tendances suicidaires?
Trois à quatre fois plus d'hommes que de femmes meurent de suicide, mais ces dernières sont trois à quatre fois plus susceptibles de faire des tentatives de suicide. Si l'on envisage la population générale, les taux de suicide sont plus élevés chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans et chez les sujets âgés.
En pratique clinique, il faut s'inquiéter d'un risque de suicide devant les faits suivants :
- Constatation qu'un patient est en grande souffrance ou en mauvaise santé mentale
- Déclaration directe ou indirecte du patient qui envisage le suicide : « Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir comme cela », « Je n'en peux tellement plus d'être à plat ».
- Déclarations des membres de la famille ou des amis qui s'inquiètent pour le patient : « Il n'arrête pas de dire comme on se sentirait mieux s'il n'était plus là ».
Posez la question du suicide au patient
La responsabilité du médecin est de cerner l'intention du patient de se suicider. La manière la plus directe et la plus efficace est de lui poser des questions :
- « Les choses vont-elles si mal que vous pensez à vous automutiler ou à mettre fin à vos jours ? »
- « Quand les gens se sentent comme vous en ce moment, ils commencent quelquefois à penser au suicide. Cela vous est-il jamais arrivé ? »
Une approche calme, dépourvue de jugement mais montrant votre intérêt, manifeste au patient que vous vous préoccupez de lui et que vous êtes capable d'entendre sa réponse et de faire face à la situation.
Remarque : Demander à un patient s'il a l'intention de se suicider ne lui en donne pas l'idée.
Situations particulières
- À la fin d'une relation affective, demandez au patient s'il a en tête de tuer son ex-partenaire et/ou les enfants.
- Devant une patiente qui présente une suicidalité dans le cadre d'une dépression du post-partum, demandez-lui si elle pense que ce serait mieux que l'enfant soit mort, si elle a l'intention de blesser son enfant, etc.
Déterminer la profondeur de l'intention suicidaire
Si le patient reconnaît avoir des pensées suicidaires, la tâche suivante du médecin est d'évaluer le sérieux de son intention quant à un suicide.
- Demandez au patient :
- « Quelles sortes de pensées avez-vous eues? » (question dont la réponse peut être très productive, donc soyez sûr de bien laisser le patient s'exprimer)
- « Depuis combien de temps avez-vous ces pensées ? Quand sont-elles apparues ? »
- « Quelle est leur fréquence ? Quotidienne ? Hebdomadaire ? Sont-elles permanentes ? »
- Demandez au patient de coter le sérieux de ses pensées suicidaires sur une échelle de 1 à 10, 1 correspondant à une intensité minimale et 10 à une intensité maximale.
- Posez des questions sur le projet de suicide et l'accès du patient aux moyens de sa réalisation :
- « Avez-vous planifié la manière dont vous allez vous tuer? »
- « Avez-vous pensé à d'autres méthodes ? (Les patients peuvent ne pas révéler à la première question la méthode la plus radicale qu'il envisage.)
- « Avez-vous des armes à feu ou d'autres types d'armes chez vous ? Quels sont-ils ? »
Si la méthode de choix est la surdose ou la pendaison, demandez au patient :
- « Avez-vous acheté ou mis de côté des pilules ? Avez-vous une corde ? »
- « Avez-vous fait une répétition ou déterminé les mouvements à faire pour vous tuer ? »
Évaluer l'intention de passage à l'acte
- Posez au patient les questions suivantes :
- « Dans les prochaines 24 à 48 h, quelles sont les chances que vous mettiez votre projet de suicide à exécution ? (Demandez au patient de coter ces chances sur une échelle de 1 à 10, 1 correspondant à très peu de chances, et 10 à une certitude)
- Rechercher chez le patient des antécédents d'impulsivité (comportements à haut risque, dépenses excessives, bagarres, décisions sans réflexion suffisante préalable). Si vous ne connaissez pas bien le patient, demandez-lui :
- « Vous considérez-vous comme une personne impulsive ? »
- « Avez-vous de manière récente perdu, par moments, tout contrôle de vous-même ? »
Automutilation et suicidalité
N'ont pas d'intentions suicidaires vraies tous les patients qui se font du mal en se coupant, en se brûlant, ou en ayant d'autres comportements automutilants.
Pour faire la différence entre un comportement d'automutilation et un comportement suicidaire, demandez ses intentions à la personne en cause. L'automutilation en se coupant (en se brûlant, etc.) avait-elle l'objectif de mettre fin à ses jours, d'être soulagé d'une souffrance affective ou de surmonter un sentiment d'insensibilité?
Souvenez-vous que les patients qui s'automutilent peuvent avoir plus d'une intention liée à ce comportement, et que l'automutilation est un facteur de risque de tentatives de suicide ultérieures. La coexistence des deux comportements procède plus d'une règle que d'une exception chez les personnalités borderline et dans les autres troubles de personnalité impulsive.
Identifiez les facteurs qui augmentent fortement le risque
Cas où la réalité est déformée
- Psychose
- Intoxication à l'alcool et aux autres drogues
Remarque : Ne laissez pas rentrer chez lui un patient suicidaire intoxiqué. Transférez-le en salle d'urgence.
Désespoir
Demandez au patient :
- « Vous sentez-vous désespéré ? » ou « Pouvez-vous voir les choses s'améliorer pour vous ? »
Tentative de suicide antérieure
- Plus la méthode utilisée est fatale, plus le risque de réussite est grand.
- Le risque augmente avec le nombre de tentatives.
- Les personnes qui ont fait de multiples tentatives doivent être considérées à risque de manière permanente.
- Les personnes sorties récemment d'un service psychiatrique hospitalier sont à risque de suicide, particulièrement si elles ont fait une tentative de suicide.
Trouble psychiatrique grave évolutif
- Dépression caractérisée
- Schizophrénie
- Consommation d'alcool
- Personnalités borderline ou antisociale, surtout associées à une dépression caractérisée.
Autres facteurs connus pour augmenter le risque
Antécédents familiaux de suicide (Il existe probablement une participation génétique, ainsi qu'une influence de l'environnement.)
- Abus d'alcool [link to addiction toolkit]
- Affection médicale invalidante
- Perte récente (divorce, perte d'emploi, décès d'un proche)
Évaluer les raisons de vivre et les facteurs protecteurs
Demandez au patient :
- « Les choses ont été vraiment difficiles. Qu'est-ce qui vous fait continuer à avancer? »
- « Vous avez pensé au suicide, mais vous dites que vous n'avez pas donné suite. Qu'est-ce qui vous empêche de vous faire du mal ?
Les facteurs pouvant être associés à un moindre risque de suicide comprennent :
- la croyance religieuse que c'est mal de se suicider
- le mariage
- la présence au domicile d'enfants de moins de 18 ans
- l'emploi
- une relation solide avec un thérapeute
- de bonnes compétences en résolution de problèmes
- plus généralement, un bon niveau d'estime de soi.
Traduction du texte tiré et adapté de : Marilyn A. Craven, Paul S. Links and Gregor Novak, Assessment and management of suicide risk, Psychiatry in Primary Care (CAMH, 2011).
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The revised print version of Psychiatry in Primary Care is avaible through the CAMH store.
We have posted a number of revised chapters from the book in Treating Conditions and Disorders in the new Professionals section of camh.ca.